Sophie Loubière se souvient de Star Wars

Photo : Caroline de Benedetti

Sophie Loubière ex-femme de radio (Parking de nuit, Info Polar) et romancière (son avant dernier roman L'enfant aux cailloux honoré de 4 prix dont celui de la Ville de Mauves sur Loire connait une carrière internationales et Black Coffee sorti en 2013 chez Fleuve Noir devrait suivre la même voie). En ce premier dimanche de Février elle se souvient...


Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…

J’ai dix ans, et la vie va puisque papa est là.

Après un an de séparation, mes parents se sont remis ensemble. Nous avons quitté la cité HLM où j’ai grandi pour une jolie maison 1900 dans un quartier tranquille, et depuis que j’ai ma chambrette, les garçons s’intéressent à ma pomme - j’ai aussi changé ma coupe de cheveux et amélioré mon orthographe, mais j’ignore si cela a un rapport. Après m’avoir, durant des années, considérée comme cobaye de ses expériences scientifiques et perverses (me pousser le plus haut possible jusqu’à ce que je tombe de la balançoire, saler mon bol de chocolat, mettre des brosses à cheveux dans mon lit…), mon frère ainé me fiche soudain la paix. L’avenir est possible, ma période vilain petit canard s’achève, des ailes blanches me poussent, à moi Hollywood !

Mes parents sont cinéphiles ; nous allons souvent au cinéma et voyons tous les grands films à la télévision, même le western du dimanche après-midi. Et tradition oblige chez les Loubière, nous sommes en retard pour la séance. La file d’attente sur le trottoir est sans fin. Mes parents s’engueulent à cause de l’heure tardive à laquelle nous sommes partis. Moi, je regarde les photos du film affichées sous les vitrines du cinéma, intriguée, mais cependant méfiante : la dernière fois, c’est 2001 l’Odyssée de l’Espace qu’ils m’ont emmenée voir. J’ai failli vomir à la fin tant ce film, pour mon âge, était perturbant et déstabilisant. Lorsque nous pénétrons enfin dans la salle, on a loupé les vingt premières minutes et il ne reste que le rang du fond pour s’asseoir. Luke a déjà rencontré Obi-Wan Kenobi ! Me voici privée de ce générique flamboyant avec ses lettres qui rapetissent et d’un paquet d’explications. Pas grave. Je suis happée dès la première image, aimantée par la musique.

Star Wars, c’est John Williams, le barbu qui ressemble au père Noël avec un col roulé. 

Influence majeure : Prokofiev. Mais aussi Ravel, Debussy, Chostakovitch, Haydn. Quand Dark Vador paraît, c’est une marche martiale, guerrière, écrasante, c’est l’enfer et la damnation sous un chaudron-casque. Il suffit d’une flûte pour savoir que Luke est dans les parages, de quelques violons pour embraser un baiser - qui s’avèrera incestueux au prochain épisode. Ma bouche s’ouvre et ne se referme pas avant la fin du générique qui m’absorbe comme le siphon de la baignoire gobe l’eau du bain. Sensible aux partitions néo-classiques des films hollywoodiens (on m’a mise au piano tôt et obligée à écouter Mozart assise dans le canapé du salon sans bouger), je retrouve chez Williams cette profondeur de champ, cette ampleur donnée à l’orchestration qui sublime l’émotion, transcende l’action. Sans John et les effets spéciaux, Star Wars épisode IV serait un film de série B. (Amusez-vous à regarder les images sans le son, et vous verrez les décors limites, les costumes pas top, le scénar bateau.)

Dès le lendemain, je fonce au rayon disques du Printemps et déniche un 45T avec l’affiche heroic fantaisy du film dessus. Grosses déception en l’écoutant sur ma chaine stéréo : certes, c’est bien le générique, mais version disco !

Depuis ce jour, ma collection de B.O.F. a grandi, des centaines de CD, imports, trésors de guerre de vingt années de journalisme et de radio. Mais le choc de Star Wars, ces trompettes rutilantes et ces cuivres qui tonnent soudain sur ma tête, je les entends encore, du fond de la salle, où nous sommes, épaules contre épaules, pour vivre ce moment merveilleux de cinéma, avec mon père.