Jean-Luc Mélenchon, L'autre gauche, café république / Bruno Leprince



Je n'ai pas regardé le débat d'hier où les 6 prétendants à la tête du parti dit socialiste ont dû se disputer sur des questions de forme et d'image. Par contre il y a quelques semaines j'ai lu un livre de Jean Luc Mélenchon : L'autre gauche. Une compilation de textes. Le compte rendu de cette lecture se fera ici sous forme de résumé avec quelques digressions. Il me paraît fort à propos de le méditer et de le discuter. Je parle souvent avec des gens qui font le constat que les "ténors" du PS ne les représentent plus, mais qui continuent à appeler à voter pour eux... la question est pourquoi ? Par habitude ? Par peur du changement ? En souvenir du passé ? D'un héritage qui paraît maintenant bien lointain ?

Dans un premier texte Mélenchon fait le constat de l'échec de la "social démocratie" dont les représentants, Ségolène Royal et François Hollande sont cités pour la France, se sont engagés sur la voix de Clinton et Blair. Une stratégie de la gauche (aux USA et en Europe avec notamment l'Italie mais aussi en Amérique Latines) qui a débouché sur l'effondrement des partis sociaux démocrates aux élections, un abstentionnisme record, une incapacité à penser le dépassement du capitalisme, une destruction de l'état providence et un atlantisme (avec notamment l'ombre du Marché Transatlantique). Mélenchon rappelle l'alliance de la gauche social démocrate avec le centre et la droite dans de nombreux cas et sur de nombreux points de vue (en France plus récemment on ira regarder du côté du vote pour la guerre en Libye, la règle d'or...). Dont acte.

L'avenir ce n'est pas ce qui va arriver, c'est ce que nous allons faire (Gaston Bachelard). Dans le discours de l'ouverture du Parti de Gauche prononcé le 29 Novembre 2008 on assiste à la présentation d'un parti républicain qui se propose de fédérer les partis de gauche (c'est à dire les partis socialistes qui ne se réclament pas du flou social démocrate) autour de l'héritage socialiste et d'un programme en 4 points (ce programme est plus détaillé dans le livre Qu'ils s'en aillent tous).

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La crise de la finance ne peut pas être séparée du corps qui la porte, c'est à dire de l'économie qui la porte. Le troisième texte est une reprise d'un article de journal paru en Italie dans Alternatives pour le socialisme. Mélenchon y analyse la crise financière et propose des actions. Le constat marxiste est rappelé : le capitalisme "pour fonctionner doit sans cesse étendre le domaine du marché et de l'accumulation" ainsi que les causes de la énième crise du capitalisme (en simplifiant) : "la valeur des signes monétaires de toutes sortes qui circulent en dollars est cinquante fois supérieure à la masse de ce qui est produit réellement dans le monde entier, évalué dans la même monnaie au même instant. Quand la confiance est rompue, si chacun court concrétiser ses avoirs, l'ajustement enclenche une spirale dévastatrice."

Dans ce texte, Mélenchon craint que la crise financière actuelle "qui va se prolonger comme une crise économique, sociale, politique et géopolitique" et que "son épilogue mortelle pourrait bien être la crise écologique, qui était déjà là..." ne débouche une fois de plus sur une gigantesque catastrophe. Et de rappeler : "l'affaire n'est pas technique, elle est politique" et qu'il faut aller au-delà des pansements et de la recherche de boucs émissaires. Au lieu de proposer un bouclier pour les banques (ce qu'ont fait les gouvernements de droite appuyés par les sociaux démocrates) il faut proposer un bouclier pour le plus grand nombre, un bouclier social. Pour se faire "la puissance publique doit se doter d'un droit de véto sur les délocalisations et les licenciements boursiers" ; "il faut placer aux frontières de l'Europe pendant cette période d’exception un bouclier douanier qui bloque le dumping social et environnemental" ; "(...) l'appareil financier et bancaire (...) doit passer sous contrôle public pour être orienté dans l’intérêt général" ; "renforcer les services publics (...) (c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas !)" ; "arrêter les privatisations" ; "stopper les mesures européennes de libéralisation". D'autre part le texte propose des mesures de protection individuelles : "augmentation du salaire minimum", "mettre fin aux franchises médicales". Ces mesures d'urgences (un bouclier social contre un bouclier fiscal) proposent dans le fond un autre système et un réel partage des richesses. Une rupture avec le capitalisme.

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Dans le texte Écologie marxiste et planification écologique (ce texte fait bloc avec Chantier pour rompre avec le productivisme) Mélenchon relie le problème actuel de l'écologie à une lecture de Marx qui déjà met en garde avec la notion de corps inorganique sur la l'impossibilité pour l'homme de survivre en dehors de son écosystème.

Capitalisme et écologie ne peuvent pas faire bon ménage par définition car le capitalisme est forcément productiviste et c'est le productivisme qui menace l’écosystème dans lequel nous vivons. (On notera cependant que le Chine n'est pas un pays capitaliste, mais que c'est un pays productiviste... dont la production sert à assouvir en partie l'appétit des pays capitalistes ; le capitalisme ne me semble pas avoir le monopole du productivisme). Mais le texte n'aborde pas le sujet de la Chine. Il met en garde contre les fausses solutions écologistes issues du capitalisme vert, du mysticisme ou du millénarisme qui gangrène les mouvements écologistes.

Le travail du dimanche affirme que le temps qui domine est celui de la marchandise et que le temps qui lui est soumis est celui de l'être humain. Par ailleurs la notion de plan (abordée ici et développée dans Qu'ils s'en aillent tous ! ) et de temps (temps court contre temps long) abordé dans le texte n°4 me paraît à réfléchir.

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Le texte 6 aborde l'Europe et son sauvetage, avant qu'elle ne sombre tuée par le libéralisme. Il me paraît intéressant de noter que Jean-Luc Mélanchon rejoint Todorov (ils ont tous les deux en commun la lecture des penseurs des Lumières) sur le constat de dangerosité de dépendance de l'Europe vis à vis de l'empire américain.


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Le texte 7, Une nouvelle émancipation pour le progrès humain est un ensemble de réflexions autour des termes mondialisation et progrès humain. Le texte a été élaboré à la suite du premier "Remue-méninges" du Parti de Gauche.

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Si nous proposons des listes autonomes au premier tour, ce n'est pas par détestation des socialistes ou par détestation de ce qu'ils sont devenus. Ni pour dénigrer le bilan des équipes sortantes. Nous le faisons parce qu'il s'agit de construire une dynamique populaire. Si l'on réduit le champ du premier tour tous en rang derrières les sortants socialistes, il n' y aura pas la dynamique dont nous aurons besoin au deuxième tour. Le huitième texte est une charge contre le système des primaires à gauche. L'argumentation de Mélenchon tourne autour de ce que ce type de choix (issu des primaires américaines) entraîne : l'egocratie, la division de la gauche, la foire médiatique, la pipolisation et un choix qui devient consensuel (avec glissement vers le centre au deuxième tour pour gagner les voix de la droite) et qui est déterminé par les sondages. Il propose pour les élections régionales (le texte date de 2009) une alliance avec les partis à la gauche du PS pour mettre en place une alternative, une autre gauche.

On notera une pique contre les mouvements anarchistes qui appellent à boycotter les élections : Les élections en effet sont un front de lutte décisif. Ce n'est pas un espace secondaire comme le prétend une certaine logorrhée gauchiste. C'est même l'unique occasion où un tel nombre de gens, ceux que je nomme "le grand nombre", se mobilisent sur des objectifs politiques et sociaux en s'engageant par un acte personnel. Nous y construisons un rapport de force qui sera projeté dans l'espace social et civique comme c'est toujours le cas." On l'aura compris l'abstention est un ennemi du front de gauche.

Monsieur Mélenchon (épisode 1 par l'équipe de Télétoc)




Les références sont claires : De La Boétie aux philosophes des Lumières, des maillotins de Paros aux sans-culottes, Robespierre et Olympe de Gouge, Gracchus Babeuf, ceux de 1848 et le communards, l'immense lumière de la révolution de 1917, le martyr des résistants pour vaincre les nazis, la lutte pour la décolonisation (on croisera aussi Jean Jaurès). Même si la notion un peu floue "d’intérêt général" et un appel à regarder vers l'idéal qui, comme le rappel Tristan Todorov dans L'Esprit des Lumières, n'est pas forcément souhaitable, L'autre gauche propose les lignes d'un programme "Républicain" et d'une réponse "Socialiste" aux échecs du capitalisme et de la social démocratie. Un chemin vers la "République Sociale".

Mélenchon utilise quasiment toujours la méthode : Constat + Causes + Proposition de gauche (socialiste) pour aller dans le sens de "l'intérêt général". C'est une méthode claire qui permet d'avoir des éléments pour discuter et disputer les propositions qu'avance le Front de Gauche. Le livre se referme comme il a commencé sur l'évocation du parti Allemand Die Linke (La gauche) et une main tendue à tous les partis de gauches pour se structurer et créer un Front afin de reprendre le terrain occupé par les sociaux-démocrates. Une récupération qui se fera grâce à l'éducation populaire et la remise du peuple dans le débat politique.


Jean-Luc Mélanchon, L'autre gauche, café république / Bruno Leprince, 2009, 144 pages, 5 euros