Salopes des Cavernes

Khalid Muhammad & Ice Cube


Ice Cube semble bien avoir toujours calculé la façon dont il construit son image pour vendre le plus possible. De N.W.A. (1) où il joue au gangster de Compton, alors qu'il est à l'Université de Phoenix (Arizona) en train de passer un diplôme d'architecte, à sa carrière cinématographique hollywoodienne... 

Après avoir sorti un album coup de poing AmeriKKKa's MOST WANTED (Priority Records 1990) avec une partie de l'équipe de Public Enemy il enfonce le clou sur Death Certificate (1991) puis se met à bégayer avec The Predator (1992) et Lethal Injection (1993). Ces albums de plus en plus baigné de l'idéologie de Nation Of Islam (Farrakhan influence beaucoup de groupes de hip hop dont Public Enemy (2)). Un certain sexisme y prend aussi beaucoup de place. On notera tout de même la présence sur AmeriKKKa's MOST WANTED d'un duo (It's a Man's World) en forme de battle où la rappeuse Yo Yo répond aux attaques sexistes d'Ice Cube qui n'a pas vraiment d'arguments à lui opposer.

Ice Cube & Yoyo, It's a man's world


Nappy Happy: A conversation with Ice Cube and Angela Y. Davis. - Transition 58 (1993)

Le compte rendu de la rencontre entre Angela Davis et Ice Cube qui s'est déroulée dans les bureaux de la maison de production de Cube est assez édifiant au sujet du sexisme et du racisme. Jeff Chang en cite de larges extraits dans Can't Stop Won't Stop, Une histoire de la génération Hip Hop paru chez Allia en 2006.

Angela Davis : Il me semble que tu exclues souvent tes soeurs de ta réflexion. On arrivera à rien si on ne se serre pas les coudes.

Ice Cube : Bien sûr. Mais l'homme noir est à terre.

Angela Davis : Oui, he bien, la femme noire aussi, elle est à terre.

Ice Cube : Mais la femme noire ne peut pas admirer l'homme noir tant qu'on ne s'est pas redressés.

Angela Davis : Mais pourquoi la femme noire devrait-elle admirer l'homme noir ? Pourquoi ne pouvons nous pas nous regarder comme égaux ?

Ice Cube : Si nous nous regardons sur un pied d'égalité, ce qu'on va avoir, c'est un fossé. Il va y avoir une division.

Et plus loin..

Angela Davis : Suppose que nous disions que nous voulons nous asseoir au même endroit que les Blancs, ou n'importe où où nous le désirons, mais que nous voulons avoir aussi la nourriture de notre choix. Tu comprends ce que je veux dire ? Nous voulons être respectées comme des égaux, mais aussi pour nos différences. Je ne veux pas être invisible en tant que femme noire.

Ice Cube : Tout ce qui compte, c'est d'enseigner à nos enfants la nature du maître d'esclaves. Leur enseigner sa nature, et comment il va toujours te battre, quel que soit le nombre de livres que tu alignes devant lui, le nombre de leaders que tu envoies parlementer avec lui. Il ne va pas changer. Nous devons comprendre que chaque chose à des ennemis naturels.


Mais que dit la chanson Cave Bitch ?

La chanson (présente sur Death Certificate) que l'on peut traduire par Salope des cavernes s'ouvre sur un sample de Khalid Muhammad, conseiller de Louis Farrakhan et porte parole de Nation Of Islam jusqu'en 1993 : Give me a black goddess sister I can't resist her. No stringy haired, blonde hair, blue eyed, pale skinned buttermilk complexion. Grafted, recessive, depressive, ironing board backside straight up and straight down. No frills, no thrills, Miss six o'clock, subject to have the itch, mutanoid, caucazoid, white cave bitch... une entrée en matière sans appel.

Ice Cube enchaine ensuite et précise qu'il ne baise pas de blanches parce qu'elles ont été envoyées par le diable pour tester les noirs (The devil sent you to try and tame us). On notera au passage que la chanson dit que le blanches ont le cul plat. Et l n'est pas content Ice Cube quand il voit à la télé des noirs avec des blanches (Cuz everytime I turn on the TV / I see several brothers with she-devils). Mais tout de même, au final, il concédera aux femmes blanches qu'elles peuvent être fans de lui, mais pas espérer mettre la main sur sa bite, il préférerait encore baiser une albinos (Now don't think that I hate you / Cuz I won't date you, bitch I gotta stay true / You can be a fan, but don't expand /And try to get my dick in your hand (...) You can't get mine ho / I'd rather phuck an albino). Le sexisme et le racisme des paroles de Cave Bitch ne fait pas de doute, mais ont peut se demander d'où vient cette histoire de caverne ou de mutanoid dont parle Khalid Muhammad dans le sample d'introduction ?

Caverne et Mutant

Une des théories fumeuses de la Nation Of Islam explique que l'homme blanc vivait dans des cavernes - où ils avaient été exilé par l'Homme Originel, comprendre les Noirs - alors que les Hommes Originaux vivaient au grand air... on saisit mieux l'origine de l'insulte "Salope des cavernes". Pour ce qui est de cette histoire de mutanoid (comprendre mutant) peut-être faut-il se pencher sur le cas Yakub. Le texte d'Elijah Muhammad nous apprend que l'Homme Originel était un Noir asiatique et que les Blancs sont en fait une sous race maléfique issue d'une manipulation génétique mise au point par le maléfique Yakub il y a plus de 6 000 ans. On retrouve tout cela - et pas mal d'autres absurdités mélangeant fantasmes, ésotérisme, passages de la Bible et du Qu'ran (Coran) - dans le texte The Making Of The Devil d'Elijah Muhammad un des fondateurs de Nation Of Islam.
La réponse habituelle est qu'Ice Cube se sert de la provocation pour vendre ses disques, mais dans la provocation passe le message. Un message nauséabond qui se répétera sous différentes formes dans un bon nombre de raps. Certains raps sont racistes, beaucoup sont sexistes, d'autres non. Mais le hip hop semble s'enfermer de plus en plus atour de thèmes récurents que ce soit dans la revendication ou la mise en scène de la vie des ghettos et tout cela manque cruellement de défocalisation. Quand Public Enemy et It takes a Nation of Million to Hold us Back ou Straight Out Campton des NWA ont débarqué il y avait quelques chose de nouveau, mais qui s'est bien vite tari ou enfermé dans la surenchère (voire la provocation toujours grandissante dans le machisme et la violence avec le Niggaz4life des NWA où la surenchère atteint un niveau franchement ridicule, comme le remarque Pierre Evil dans son livre Gangsta Rap paru chez Flammarion en 2005).


Elijah Muhammad Interview - Part 1



Nation of Islam et American Nazi Party

Nation of Islam et le Parti Nazi Américain semblent se retrouver autour de plusieurs thèmes notamment au sujet du racisme et de la séparation des races. Peut-être aussi partagent-ils le même antisémitisme, on retrouvera par exemple plusieurs déclarations antisémites dans les discours de Professor Griff de Public Enemy, discours qui ne seront pas sans créer des vagues au sein du groupe. Quoi qu'il en soit Ice Cube comme les membres de PE n'ont pas peur des contradictions et certains éléments de leurs discours sont sûrement à rechercher du côté des textes fondateurs et prêches de Nation Of Islam et Five Percent Nation (une branche dissidente aussi connue sous le nom de The Nation Of Gods and Earths). Ces deux institutions sont souvent créditées sur les livrets accompagnant les disques. Elles se sont développées dans les ghettos pour créer une entre-aide (et faire passer , dans le cas de Nation Of Islam, un message séparatiste, nationaliste et religieux) au sein de la population noire américaine. Elles sont devenues importantes au moment où les programmes sociaux étaient retirés par le gouvernement ultra libéral de Reagan et que les ghettos se sont retrouvés encore plus livrés à eux-mêmes. Bien sûr une photo d'une réunion ou d'un meeting de la Nation Of Islam avec les dirigeants du Parti Nazi Américain ne résume pas toute l'idéologie de l'institution ou de ses actions, mais ceci couplé à la lecture des textes sur lesquels s'appuie Farrakhan est assez révélateur d'un certain fond idéologique que l'on retrouve dans certains raps.

On pense au fer à cheval de Jean Pierre Faye et qu'il est sûrement temps de lire Mémoire du mal, tentation du bien de Tzvetan Todorov.

George Lincoln Rockwell chef du Parti Nazi Américain (au centre) au Nation of Islam (NOI)
rally, Uline Arena, Washington, DC, June 25, 1961.

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(1) dont le premier album Straigh Outta Compton (Ruthless Record, 1988) sera un sacré coup de pied dans le cul, un genre de Nevermind The Bollocks Hip Hop).
(2) voire entre autre la chanson Bring The Noise tiré de l'album It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back (Def Jam, 1988).