Chris Joss, l'interview



Chris Joss a sorti Monomaniacs Volume 1 chez ESL. En attendant la chronique de l'album sur Duclock voici une interview réalisée par échange de mails où Chris nous cause un peu de l'industrie du disque, du téléchargement et où il nous donne quelques pistes d'écoute...

Photo : Service De Presse

Dj Duclock : Ma première écoute de Monomaniacs s'est faite sur la Côte Ouest, du côté de Nantes, j'avais glissé le disque dans l'auto radio et il y avait du soleil dans le pare brise, je me suis dis "Oh putain, c'est tout à fait ce qu'il me faut, là maintenant" et j'ai pensé à monsieur Jack McDuff. Faut dire qu'il y a, entre autre, de sacrés phrasés d'orgue dans les morceaux de Monomaniacs. Tu peux nous causer un peu de tout ces instruments dont tu joues sur l'album ?

Chris Joss : C'est un mélange de vrais instruments, batterie, basse, contrebasse, guitares, sitar, vibraphone, flute, congas et les petites percussions (tambourin, clave, maracas, guiro), de claviers modélisés pour le Hammond et le Wurlitzer, multisamplés pour les Clavinets et les quelques cuivres. J'ai tout joué sauf le vibraphone joué par mon ami Alexander von Mehren de Bergen en Norvège.

Dj Duclock : Tu joues une musique qui se trimballe entre le funk et le jazz... des phrases musicales en partie branchées sur le foisonnement des années 70 et le cinéma. Tu es distribué au États Unis par le prestigieux label Fontana, est-il facile, en France, à l'heure actuelle de faire son trou avec un disque comme le tien ?

Chris Joss : Disons que le funk vient du blues et du jazz, mais je n'ai pas l'impression de faire du jazz, pour ce disque les influences sont pour la moitié des titres la fin des 60's et le début des 70's pour l'autre moitié, il faut dire que les styles étaient très éphémères, on peut facilement dater un disque de cette époque sans le connaître contrairement à maintenant où l'évolution musicale s'est arrêtée il y a une 15aine d'années.
En France c'est bien simple je ne perce aucun trou. Je n'essaie même pas d'ailleurs. C'est mon 6eme album en 10 ans et en France le 5eme distributeur, à chaque sortie les problèmes sont les mêmes: les distributeurs n'aiment pas, n'y voient aucun potentiel donc le disque n'est nulle part. La presse "spécialisée" au mieux m'ignore et au pire me massacre en privé - quand on envoie un disque en promo les journalistes envoient du feedback au label pour indiquer s'ils chroniqueront ou pas et j'ai eu droit à de belles méchancetés. Bon là c'est diffèrent pour celui-là puisque mon distributeur ne l'envoie même pas aux journalistes.
Aux US en effet c'est Fontana qui distribue, mais le boulot de marketing et de promo est fait par mon label ESL qui lui est indépendant. Pour l'étranger, donc la France, il y a un intermédiaire qui s'occupe de trouver des distributeurs, c'est ainsi que je me suis retrouvé chez Naïve pour mes 2 derniers albums et c'est catastrophique. Ils ont signé le catalogue d'ESL pour Thievery Corporation (les fondateurs du label) et se moquent éperdument du reste. D'ailleurs ils n'avaient jamais entendu parler de ma musique et ne savaient pas que j'étais Français, ce qui leur a évidemment causé certains soucis, car les US c'est loin et ESL ne peuvent pas contrôler si le boulot est fait, mais étant sur place j'ai pu constater le foutage de gueule. Mon album précédent était censé être sorti en mars 2009 et il a fallu des mois d'emails d'intermédiaires en intermédiaires pour qu'ils le sortent enfin mi août, une période très propice aux ventes de disques (ironie), je n'ai d'ailleurs aucun contact avec Naïve. Il y avait donc cette situation où la Fnac commandait les CDs et Naïve qui ne livrait pas. Pour situer mon label ESL c'est 4 personnes et Naïve c'est 100 personnes, une grosse machine à variétoche liée au pouvoir actuel, on ne peut pas dire que je m'y sente bien. De toute façon le public Français en général n'est d'une part ni très funk ni instrumental, et d'autre part très fier de pirater pour "boycotter les majors" qui après 10 ans de piratage sont toujours là, contrairement à 99% des indépendants et du petit personnel des majors.

Dj Duclock : Ah ben ça n'a pas l'air de bien se passer avec "l'industrie du disque" et toi... De plus en plus de musiciens me disent que les labels et distributeurs ne font pas ou plus leur boulot surtout dans les grosses structures. Sauf peut-être avec les groupes qui rapportent gros... et le back catalogue (groupe comme Led Zeppelin, les Doors etc). Faut voir aussi ce que les gens achètent et le manque de curiosité qui règne. Tiens en parlant de curiosité... tu peux nous faire part du disque qui tourne en ce moment sur ta platine ? Ta dernière découverte ?

Chris Joss : Ce n'est pas spécialement l'industrie et moi, c'est avec tous, c'est juste que je peux balancer quelques vérités, c'est le seul avantage de ne pas vendre de disque, de plus je suis un des rares artistes à vivre de ma musique sans faire de live, je m'en sors plutôt bien, mais c'est uniquement parce que je fais tout tout seul, ça ne serait pas possible à 2 ou dans un groupe.
L'industrie du disque a toujours été féroce, j'ai été signé par EMI puis Sony il y a plus d'une vingtaine d'années, les désillusions ont été sévères mais digérées, c'est pour cette raison que je suis sur un label indépendant avec une musique qui ne suit pas les normes commerciales. J'ai lu la bio de Quincy Jones qui raconte les labels de blancs dans les 50's qui signaient des musiciens noirs avec des contrats foireux puis ils les tuaient et devenaient propriétaires des chansons, c'est à vomir.
Le problème actuel c'est le piratage, les mecs qui mettent les albums en rapidshare ont plus de feedback que les artistes. Le monde journalistique est bien pourri aussi, les articles s'achètent à coup de pub, le manque de culture musicale des chroniqueurs est également affligeant. N'importe qui se proclame journaliste musical en ne connaissant absolument rien au fonctionnement du business, comme si avoir un avis suffisait. Mais là non plus rien de nouveau.
Je pense qu'il faut parler d' "industrie de la musique" plutôt que du disque, avec tous les vautours qui en vivent sans avoir l'honnêteté de l'admettre. Je pense à ce célèbre quotidien qui encourage ouvertement le piratage depuis des années mais qui n'a pas hésité à demander à l'état une taxe sur les FAI pour contrebalancer la baisse de ventes de leurs journaux.
Pour les grosses maisons de disque la situation est simple, les "gens" n'achètent plus de disques sauf ceux qu'il FAUT acheter, il faut donc créer une demande à gros coups de pub et ça coûte très cher, tout est axé sur la rentabilité de ces investissements. Tous les autres produits passent à la trappe, mais là encore, c'est le public qui est en cause, avant le piratage il y avait suffisamment de ventes pour que les gros fassent vivre les petits et que les petits génèrent assez de ventes pour continuer.
Pour les petits labels, c'est très simple aussi, c'est du bénévolat à moins de cibler un public plus âgé qui achète encore des disques ou se concentrer sur les licences (films, séries, pubs) comme le fait mon label, mais ce n'est pas réalisable dans un pays comme la France où les budgets musique pour les films sont extrêmement faibles.
Pour ce que j'écoute, je fais de la musique toute la journée j'ai donc peu de temps pour en écouter. J'ai une 50aine de requests de musiciens sur myspace par semaine, je mets les coups de cœur dans mon top friends, je reçois des promos que je n'ai pas le temps d'écouter, je ne suis ni DJ ni chroniqueur. Mon inspiration vient de la black music des 60's et 70's et c'est ce que j'écoute, tout ce qui n'en est pas inspiré a tendance à m'ennuyer.

Dj Duclock : Et dans cette black music des années 60', 70' tu as des pistes d'écoute à refiler aux lecteurs de Duclock ?

Chris Joss : Et bien les compiles Midwest Funk, Texas Funk, super funk, sound of funk, funk spectrum, fat and funky, Bay Area funk, Florida Funk, Funk Drops, Funk Cargo, Funk Directions, Funk Fu Fight, Funkaphonix, Stone Cold Funk, Sister Funk, Funkin' on the One, (etc t'as l'idée je pense, si il y a funk dans le titre c'est bon :) les compiles de Keb Darge, the big payback, Black & Proud, Right on, The Godfathers, Saturday night fish fry...

The Meters, JB's, Sly, Matata, Ramsey Lewis, Bobbi Humphrey, Betty Davis, Bernard Purdie, Bohannon, Senor Soul, Soul searchers, Ultrafunk,Village Callers, Bobby Forester, Jimmy McGriff, Nico Gomez, Eliminators, Isley Brothers, Roy Ayers, Bill Withers, Blackbyrds, Donald Byrd, Young Holt Unlimited, Catalyst, Clifford Coulter.
Les BO de Norman Whitfield, Charles Earland, Curtis Mayfield, Ed Bogas, Eddie Kendicks, Edwinn Starr, Gene Page, Issac Hayes, JJ Johnson, Johny Pate, Marvin Gaye, Willy Hutch, Rudy Ray Morre, Roy Budd, Don Costa etc... Ça c'est pour le funk, j'écoute aussi d'autres trucs plus orchestraux de library et de soundtracks, mais bon on va arrêter là, c'est déjà pas mal je crois :)... J'en ai oublié plein dont Fela Kuti, Tony Allen...

Dj Duclock : Et en bouquin ? Peux-tu nous causer du livre que tu es en train de lire ou du dernier livre que tu as lu ?

Chris Joss : je suis en train de lire Cuba Libre d'Elmore Leonard, je m'en suis commandé une 10aine en anglais, il a un style très particulier qui supporte mal la traduction française.

Dj Duclock : Je lis pas mal de polar, mais je n'ai pas encore essayé Elmore Leonard, une dernière question Chris... ta musique est assez cinématographique, la lecture t'influence-t-elle pour la composition ? sinon, quelles sont tes sources d'inspiration autre que la musique pour la conception de tes morceaux ?

Chris Joss : La lecture m'influençait quand j'écrivais des textes mais maintenant pas du tout. Enfin la lecture de livres, parce que évidemment ce que je lis dans les news ou autres m'influence. La vie est bien souvent un slalom entre les cons et quand je m'en prends un je me réfugie dans la musique. J'ai fait la partie d'orgue de Re-Volt après des échanges pour le moins tendus avec ma banque, j'étais d'ailleurs plutôt très énervé durant l'enregistrement de monomaniacs. Tout récemment j'ai eu une request sur myspace pour être "ami" avec un webzine de branchouilles parisiens (le dix millième site du genre), j'accepte et le type me met un commentaire qui pointe vers son site pour une chronique de monomaniacs et il signe Peace, le classique des faux-gentils. Je vais voir tout confiant après ce message de paix et en fait c'est une descente en règle de l'album avec le manque de culture dont je te parlais précédemment. Que le type n'aime pas OK, mais la démarche de chercher à m'atteindre par le biais de l'amitié, un mot qui n'a décidémment aucun sens dans les réseaux dit sociaux, est minable. Je transforme cette agression en niak, mais bien sûr idéalement je préfèrerais faire sans !

Chris Joss, Optical, tiré de Monomaniacs Volume 1, ESL, 2010