Le monde enfin, Jean-Pierre Andrevon

« Le monde allait son train cahotant, sans aucunes prémices d’un déraillement prochain. Les premiers indices de dysfonctionnement viendraient bien assez tôt, dans plusieurs jours, voire une ou deux semaines. Les premiers temps, comme toujours en pareille circonstance, on réfuterait, puis on minimiserait ; ensuite, on avouerait que la situation était sérieuse mais sous contrôle. Ensuite... »

Ensuite un virus envoie bouler l’Homme six pieds sous Terre, d’une première vague qui n’épargne qu’un Homme sur mille, puis d’une deuxième qui ne laisse que quelques rares survivants. Les animaux, eux, prennent possession des lieux, tout comme la végétation. Les éléphants déambulent dans Paris désert, les rats envahissent les maisons et les plantes recouvrent le béton.
Un vieil homme à cheval traverse le roman, marque du présent de cette histoire, de la volonté d’avancer, d’un rêve à achever. Son passage est encadré de chapitres retraçant le passé, l’évolution du virus, et l’état des quelques survivants : un homme dans une navette spatiale, un autre qui part chez lui de bon matin pour rejoindre une base militaire et ne plus jamais revenir, une femme qui désespère d’être enceinte et accouche ensevelie dans un sous-sol de Leclerc... Tous ces personnages errent dans un environnement soudain dépourvu de tout ce qui le caractérisait, à l’image de ce chapitre incroyable du « dernier homme vivant dans Paris ». On commence en fantasmant face à cette hypothèse : se retrouver seul dans une ville, pénétrer tous ces appartements, entrer dans toutes ces boutiques, fouiller ces restaurants, parcourir ces librairies, s’installer dans ces cinémas !! Et puis... à quoi bon ? Que reste-t-il à partager quand on est finalement tout seul sur terre, sans espoir d’avenir, sans plus aucun repère d’un monde aux symboles toujours visibles, mais à l’utilité à jamais disparue ?
Et Andrevon s’attarde alors, à nous décrire cette faune qui reprend ses droits, plantes et animaux. J’ai ressenti quelques longueurs, mais le roman n’est jamais fastidieux. Il ne fait que renvoyer à la simplicité, au dépouillement ignorés par notre société. Il paraît que certains passages proviennent de nouvelles écrites par l’auteur sur ce thème. Ca se sent parfois, à des jonctions qui se font plus ou moins bien. Mais au final, Le monde enfin est un roman simplement beau, qui ne s’achève pas tout à fait dans l’obscurité qu’on aurait attendue ; l’auteur aurait-il eu des scrupules à éradiquer totalement cette espèce qu’il a pris plaisir à exterminer ?

Le monde enfin est à ranger à côté de La route de Cormac McCarthy, et de Malevil de Robert Merle, qu’il me faut absolument relire. Peut-être le Homo Disparitus d'Alan Weisman (que j'ai en ligne de mire) et Le dernier monde de Céline Minard les rejoindront sur les étagères. On peut également l'accompagner de Quand auront fondu les banquises, la chanson d'Allain Leprest extraite de l'album du même nom :

Quand auront fondu les banquises
On verra le dernier pingouin
En queue de pie sur les marquises
Danser sur la tombe à Gauguin

On se rappellera d'hier
De brise glace et d'Atalante
Quand le feu plant'ra sa cuillère
Au milieu des îles flottantes


Après Le travail du furet et Sukran, ma découverte de l'auteur se poursuit avec bonheur. Maintenant Gandahar me tend les bras.

Jean-Pierre Andrevon, Le monde enfin, Fleuve Noir, 2006, 20 euros, 483p.

Aux Utopiales 2008, Andrevon a parlé de son oeuvre, et chanté deux chansons

Jean-Pierre Andrevon a accepté de répondre par mail aux 3 questions rituelles, un grand merci à lui. N'oubliez pas d'aller visiter son site. Vous pourrez y jeter un oeil à ses peintures. Côté actualité, les éditions Langage Tangage sortent un album de ses dessins illustrant des expressions populaires.

Jean-Pierre Andrevon et les 3 questions du Dj Duclock

Je Notule : Que lisez-vous en ce moment ?

Jean-Pierre Andrevon : Mes cadeaux (demandés) de Noël et du jour de l'an :
Aragon et la Chanson, Hara-Kiri 1960-1985, les belles images, Putain de guerre ! ( Tardi), Les colonnes de Gébé

Je Notule : Qu'écoutez-vous en ce moment ?

Jean-Pierre Andrevon : Les bandes brutes de mon second CD, en post-production avec mon producteur-arrangeur, et à paraître au printemps

Je Notule : Quelle est votre dernière surprise, la dernière fois que quelque chose vous a surpris ?

Jean-Pierre Andrevon : Je suis surpris tous les jours, toutes les heures, rarement en bien. Citation : "Il peut sembler impossible qu’une société technologiquement avancée puisse choisir de s’autodétruire. C’est pourtant ce que nous sommes en train de faire." Elisabeth Kolbert