Panégyrique de Guy Debord


"Ma méthode sera très simple. Je dirai ce que j'ai aimé ; et tout le reste, à cette lumière, se montrera et se fera bien suffisament comprendre."

Guy Debord, Panégyrique.

Guy Debord nous parle de ce qu'il aimé, de ce qu'il à vécu. Il dit "Je". Il s'agit bien là d'un Panégyrique, comme le rappelle la citation en exergue du Littré, Dictionnaire de la la langue française : "Panégyrique dit plus qu'éloge. L'éloge contient sans doute la louange du personnage, mais n'exclut pas une certaine critique, un certain blâme. Le Panygérique ne comporte ni blâme ni crtitique".

Il est important - vital ? - de lire La Société du Spectacle de Guy Debord que je relirai plusieurs fois, parce que j'ai dû comprendre à peine la moitié des 221 thèses élaborées. À ce que j'en ai retiré c'est un livre majeur, une arme pour rappeler et/ou expliquer puis détruire la Société du Spectacle* qui nous prive de notre temps (en créant un temps unique et universel qui n'est en fait qu'un temps particulier parmi d'autres) et de notre histoire (ainsi que notre espace) pour satisfaire la création de marchandises et la consommation de marchandises. Même s'il faut, pour comprendre certains passages, de sacrés bagages - dont Marx (La Société du Spectacle m'a tout l'air de faire suite aux théories de Marx et de continuer celles-ci), Hegel, Villon et Lautréamont - la lecture et la discussion autour des 221 points développés par Guy Debord semblent salvatrices.

*"42. Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde." Extrait de La Société du Spectacle de Guy Debord.

Il semble parfois poindre une certaine paranoïa dans les propos de Guy Debord, mais quand on a défini dans La Société du Spectacle un ennemi d'une telle taille... et puis quand on "remarque, sans pouvoir avancer une explication pleinement rationnelle du phénomène, que le nombre de mes amis qui ont été tué par balles constitue un pourcentage grandement inusité, en dehors des opérations militaires bien sûr" et que votre éditeur - Gérard Lebovici - est assassiné dans un guet-apens resté mystérieux, il y a sans aucun doute matière. Et puis rappelle-toi que ce n'est pas parce que tu es paranoïaque qu'ils ne t'en veulent pas vraiment. Debord aborde sa vie et son action en 7 chapitres. Après avoir défini son plan, son propos et sa méthode "Je vais pour ma part écrire sans recherche et sans fatigue, comme la chose du monde la plus normale et la plus aisée, la langue que j'ai apprise et, dans la plupart des circonstances parlé. (...) Autre avantage : en se référant au vaste corpus des textes classiques parus en français tout au long des cinq siècles antérieurs à ma naissance, mais surtout dans les deux derniers, il sera toujours facile de me traduire convenablement dans n'importe quel idiome de l'avenir, même quand le français sera devenu une langue morte." Debord nous livre des éléments étayés de citations de Shakespeare à Clausewitz et Lautréamont en passant par Machiavel, Li Po et Chateaubriand. On y croise aussi Rue de la Sardine de Steinbeck (Debord est une bibliothèque ambulante)... L'amour de la boisson, la guerre et ses "batailles", l'Histoire, la dénonciation des mécanismes de la Société du Spectacle... Villon est une référence assez constante... un paragraphe entier du livre est d'ailleurs codé dans l'argot des complices du poète.

On croise aussi de la chanson dans Panygérique, "Dans le mitan du lit - la rivière est profonde" ; "j'ai toujours aimé les étrangères", "Mira como vengo yo" pour l'amour ; "Chant de ralliement pour les Chouans en cas de déroute", "Nous n'avons qu'un temps à vivre, - nous le devons à l'honneur. - C'est son drapeau qu'il faut suivre...", le chant des partisans de Pancho Villa : "De cette fameuse Division du Nord, - à présent nous ne sommes plus que quelques uns,- continuant à passer les montagnes - pour trouver partout avec qui nous battre.", les volontaires américains du bataillon Lincoln "Il y a une vallée en Espagne qu'on appelle Jarama. - C'est un endroit que tous nous connaissons trop bien. - C'est là que nous avons perdu notre jeunesse, - et aussi bien la plus grande part de nos vieux jours" ; une chanson des Allemands de la Légion étrangère : "Anne-Marie, où vas-tu dans le monde ? - Je vais à la ville où sont les soldats." pour les soldats. Et Debord de remarquer "Un passé marque les soldats, mais aucun avenir. C'est ainsi que peuvent nous toucher leurs chansons." Pour ma part les chansons de soldats trop souvent mêlées à des émotions qui justifient le "va-t'en-guerre" me ramènent toujours en tête monsieur Georges Brassens.


Georges Brassens, Mourir pour des idées





Bien sûr, Panégyrique revient sur La Société du Spectacle, la vie de Debord semble indissociable de son combat : "Qui voit les rives de la Seine voit nos peines : on y trouve plus que les colonnes précipitées d'un fourmillière d'esclaves motorisés." Et encore dans le chapitre III où il parle de l'alcool - "J'aurais eu bien peu de maladies, si l'alcool ne m'en avait à la longue amené quelques-unes : de l'insomnie aux vertiges, en passant par la goutte. "Beau comme le tremblement des mains dans l'alcoolisme", dit Lautréamont. Il y a des matins émouvants mais difficiles." - qui l'accompagna tout au long de sa vie : "La majorité des vins, presque tous les alcools, et la totalité des bières dont j'ai évoqué ici le souvenir, ont aujourd'hui entièrement perdu leur goût, d'abord sur le marché mondial, puis localement ; avec les progrès de l'industrie, comme ausi le mouvement de disparition ou de rééducation économique des classes sociales qui étaient restées longtemps indépendantes de la grande production industrielle ; et donc aussi par le jeu des divers réglements étatiques qui désormais prohibent presque tout ce qui n'est pas fabriqué industriellement. Les bouteilles, pour continuer à se vendre, ont gardé fidèlement leurs étiquettes, et cette exactitude fournit l'assurance que l'on peut les photographier comme elles étaient ; non les boire."

Panégyrique est une mine. On pourra lire les Commentaires sur la Société du Spectacle, même si en étayant son propros, Guy Debord donne l'impression de s'enfoncer un peu dans la paranoïa (avec la notions de Secret et de complot très présentes) et le c'était mieux avant - la vision d'un passé fait d'honneur et d'honnêteté -, mais quoi qu'il en soit il y a là des précisions et des exemples dont on ne sera pas sans reparler.

Guy Debord, Panygérique, Tome premier, Gallimard, 1993 ; première édition aux Éditions Gérard Lebovici, 1989 puis Gallimard, 1993.

Guy Debord, La Société du Spectacle, Buchet-Chastel, 1967, puis Champ Libre, 1971 et Gallimard, 1992.

Guy Debord, Commentaires sur la Sosciété du Spectacle, Éditions Gérard Lebovici, 1988 réédition Gallimard, 1992.