Marche de nuit sans lune, par Abdel Hafed Benotman


Pas facile de raconter un livre de Benotman. Son style demande une acclimatation pour se livrer. Son propos est dense, poétique, riche en images. « Tout est possible même de perdre sa peau tant tout le monde est écorché vif. » Il en a, des histoires à nous raconter, des portraits à brosser, des sentiments à libérer. Sa sincérité transparaît derrière les mots, sa souffrance aussi, autant que sa rage.
Et puis bien sûr la prison, personnage à part entière, empreinte indélébile d’un lieu qui efface les hommes, les maintient dans la culpabilité et leur laisse ses stigmates dans tout le corps. Enceinte invisible, parfois en pleine ville ou encore isolée loin de son coeur, mais souvent étrangère au champ de vision de chacun . « Le nom de la prison lui-même qui ne veut pas être entendu par les passants, qui fait fuir les passantes, qui détourne le regard des enfants. Le château hanté ? Suivez le corbeau. Demandez au loup. Voyez la chimère au bord de l’autre chemin. »
Les taulards de Benotman ne sont pas des héros organisés en clan qui font leur muscu le matin. Ils se branlent sous la couverture dans la peur d’être surpris par le maton, ils espèrent et redoutent le parloir, ils se sourient dans le miroir afin de ne pas devenir timbrés.
« Ici, l’esprit pèse aussi son poids de muscles et à celui qui casse la gueule répond celui qui détruit le moral. »
Tout le monde y passe, matons et flics, justice manichéenne, marchands de rêve qui profitent des allocations de ceux recrachés par la prison, Croix Rouge et assistance sociale ; les êtres méprisables ne sont pas toujours où l’on croit. Benotman montre bien le fonctionnement d’un ensemble qui ne laisse pas d’espoir pour la reconstruction. Serait-ce cynique de dire que cet ensemble s’arrange même pour que chacun reste à sa place ? Pourtant, comme il le dit et le répète, le peuple a des droits, les élus des devoirs.
Au milieu de toutes ces douleurs, une histoire d’amour prend corps, née dans un fourgon cellulaire. Elle va laisser place à l’amitié, dévoiler l’exploitation et donner lieu à une sacrée affaire de famille. Le polar n’est pas souvent proche de la société dans laquelle il évolue. Ici le roman de Benotman aborde les conditions de détention, les récentes (et éternelles) pratiques de la justice, le traitement de l’immigration et des sans-papiers. Une fiction noire et concrète, une histoire profondément touchante.

Je recommande également son recueil de nouvelles Les poteaux de torture, par lequel j’ai découvert l’auteur. Je garde en mémoire l’histoire de ce tueur trahi par un pigeon (si, si, vous verrez). Et si ça ne vous suffit pas, sachez que Robin Cook et Jean-Hugues Oppel eux-aussi ont succombé au style Benotman. D’ailleurs, en vrai aussi, l’homme dégage indéniablement quelque chose. A Lamballe, il s’est prêté avec plus que de la grâce à quelques questions.


Abdel Hafed Benotman et les 3 questions du dj duclock

Je notule : Que lis-tu en ce moment ?

Abdel Hafed Benotman : La cavale, d’Albertine Sarrasin. Une femme écrivain qui a connu beaucoup de succès dans les années 60, et qui malheureusement est décédée suite à un problème d’anesthésie lors d’une opération chirurgicale au pied. Albertine Sarrasin n’a quasiment écrit que sur les prisons de femmes vu qu’elle a été très longtemps incarcérée.

Je notule : Qu'écoutes-tu en ce moment ?

Abdel Hafed Benotman : Je suis très très classique moi. J’aime la chanson à textes, alors j’ai du Gribouille ; du Mama Béa ; Anne Sylvestre ; le tiercé gagnant : Brel, Ferré, Brassens ; Henri Tachan. Beaucoup de chanson française à textes.

Je notule : Et ce qui se fait actuellement ça vous intéresse ?

Abdel Hafed Benotman : Si, ça m’intéresse aussi. Mais je retiens moins bien les noms des chanteurs ou des compositeurs. J’ai moins de mémoire. J’ai commencé à bloquer à Janis Joplin, pour les étrangers, et puis là y’en a plein mais je ne saurais pas dire leur nom, comme Any Winehouse (entendre ouine housse).

Je notule : Amy Winehouse

Abdel Hafed Benotman : Voilà ! Que j’aime beaucoup.

Je notule : Quelle est ta dernière surprise, la dernière fois que quelque chose t'a surpris ?

Abdel Hafed Benotman : C’était en sortant d’une banque, par la brigade anti-gang. Parce que j’ai un gros parcours carcéral et la dernière fois que j’ai été surpris, c’était à ce moment-là.

Merci monsieur Benotman.



Abdel Hafed Benotman, Marche de nuit sans lune, Rivages Noir, 8 euros 50, 254 p.