Photo : ©RBKrecords, www.myspace.com/rbkrecords

Laurent "Frenchtourist" Allinger


Je crois bien que j'ai tiré Laurent Allinger du lit. Alors du coup on est allés boire une tasse au bar. Laurent se réveille au café, clope, coca et la conversation s'installe. Après on monte chez lui pour l'interview. Un bel appartement avec un beau plancher nickel, une vue sur les quais et deux murs, caverne d'Ali Baba bourré de vinyles. Une petite statuette de Hank William... Direct Laurent me met un peu de musique pour que je découvre Al Foul avec qui il bosse en ce moment. Plus tard Al viendra sonner et j'en profiterai pour lui poser quelques questions. Mais place à Laurent qui en a des choses à dire et qui cause bien.

Dj Duclock : Laurent Allinger, on peut dire que tu es Disc Jockey, en gros ?

Laurent Allinger : Disc Jockey... Heu... dj comme on dit dans cette nouvelle génération, ça fait plus hype. dj... dj, mais pas que ça et puis pour moi ça a un aspect péjoratif. Y a des soirées où tout le monde m'appelle dj, dj machin passe moi... Non, moi c'est Laurent. Dj ça englobe tellement une espèce de nouvelle génération... Je me sens pas concerné. Je fais autre chose que dj, autre chose que de passer des disques. Je vais aussi en live avec des groupes. Je fais des créas, là je vais à un spectacle de danse Hip Hop sur Besançon. Trois semaines de résidence avec des papys cubains chez qui j'étais à Cuba, ils jouent du tambour de cérémonie. Dj, j'ai un peu l'impression que dans la génération dans laquelle on est c'est vraiment connoté. Soit tu fais de la musique électronique, soit tu fais du Hip Hop. Les dj que je respecte le plus, enfin ceux qui m'ont donné envie de faire mon métier c'est les dj en radio dans les années 60, quand j'écoutais la radio en fin de compte, avec mes parents en caisse. C'est peut-être très con mais c'est la musique populaire. Europe 1 et RTL, y avait aussi des dj derrière. Ils étaient là pour mettre des disques, les dj c'est ça, c'est des mecs qui respectent la musique des autres... C'est toute l'histoire de la radio, comme aux Etats Unis en fait. Comme dans le film de Woody Allen : Radio Days ? Tu l'as vu ?

Dj duclock : Non.

Laurent Allinger : Ce film explique ça. Maintenant le dj est devenu une espèce de super star, il faut qu'il enchaîne ses disques au tempo et compagnie alors qu'à la base le dj c'était quand même un mec qui était là pour respecter et faire la promo de la musique des autres.

Dj duclock : C'était un découvreur. Un type qui est là pour faire découvrir...

Laurent Allinger : Ouais et puis en parler surtout, qui avait un rapport au micro. Moi j'aime la radio, je suis vraiment dj, mais dj venant de la radio. J'ai fait de la radio en 82 quand Mitterrand a ouvert les ondes. J'ai eu la chance de connaître tout ce monde de la radio libre. A partir de 82 quand je suis sorti de l'école je suis rentré là-dedans direct. J'ai appris mon métier de dj là-bas puisque j'ai appris à faire des montages de publicité. A l'époque c'était sur Vox avec des bandes. J'ai appris à pousser des boutons pour ouvrir des micros pour les mecs qui faisaient les infos, pour les invités... Enfin voilà c'était le monde de la radio... j'espère bien y finir ma vie.

Dj duclock : Et bien justement le monde de la radio à l'heure actuelle, pour les disc jockey, parce qu'il doit en rester quand même, c'est lesquels que tu écoutes, que tu suis ? En radio ou ailleurs, mais le mec comme tu disais tout à l'heure, pas le dj de la soirée en boîte de nuit. Pas ce genre là, non, plus le gars qui fait découvrir quelque chose.

Laurent Allinger : Mais moi ça m'arrive d'être aussi dj en boîte de nuit. Ce que je veux dire c'est qu'il y a plein de manières d'être dj, tu peux mixer dans un restau et c'est pas forcément la même musique que je vais mettre que si je vais en boîte. C'est un rapport de volume aussi, un restau, tu mets pas la musique à 250 Watts.

Dj duclock : Ouais, c'est pas forcément fait pour faire danser non plus...

Laurent Allinger : Non, les gens sont assis, voilà, ce qui fait que la sélection n'est pas la même. Mais j'ai plus trop d'influence par la radio... en fin de compte j'ai jamais écouté la radio à part quand j'étais petit et à part quand j'en faisais, mais de l'autre côté. C'est à dire vraiment dans les studios. Ma radio je me la fais tous les jours avec les disques que j'ai. Des trucs que j'ai achetés chez les disquaires depuis super longtemps. La télé m'a autant influencé que la radio. Et surtout aller dans les concerts... voir des groupes live. Je prends très peu mon pied dans des soirées où il y a des dj. C'est peut être très con parce que tu vois ça fait un peu dire que à part ce que je fais quand je fais dj je prends du plaisir avec personnes d'autres, mais... ça peut arriver, mais c'est rare. Disons que ce qui me gêne dans les soirées dj, c'est qu'en général, maintenant, les dj considèrent qu'ils font des sets. Le rapport au set ça m'énerve. Les mecs vont mixer pendant une heure, une heure et demie et puis sur 5 ou 6 dj dans la soirée. J'arrive pas à comprendre la cohérence entre ses 5 ou 6 dj les uns derrière les autres. Moi je peux mixer pendant six, sept heures, ça ne me dérange pas, parce que ça me permet de créer un vrai voyage plutôt que de me dire je vais faire un événement pendant une heure et puis qu'après un autre dj va arriver. Je trouve des fois que ça manque de cohérence.

Dj duclock : Tu bosses plus l'ambiance.

Laurent Allinger : Ouais, puis je bosse plus dans les bars que dans du club. Donc, j'ai le temps de voir venir. Si y’a que deux personnes dans le bar, quand je commence à 20 heures ou à 19 h... ça me dérange pas. Ces deux personnes, elles sont là pour prendre du plaisir et puis elles vont rester jusqu'à ce qu'il y en ai trois, quatre, cinq... jusqu'à la fin de soirée où le bar sera plein. L'intérêt c'est ça, c'est de trouver un climat qui fait que tu bosses. Et puis tu bosses pas tout seul, tu bosses avec un barman et puis des gens qui sont pour moi aussi important dans l'état d'esprit d'une soirée.

Dj duclock : A l'heure actuelle, quand on fait appel à toi, pas forcément en tant que disc jockey, c'est dans quelles conditions ? Qu'est-ce qu'on te demande de faire quand tu bosses pour un groupe ?

Laurent Allinger : C'est hyper variable... quand je suis live, j'ai tout un montage d'instruments. J'ai une espèce de petite percu, des claps, des maracas, des choses comme ça, j'ai un theremin, un vieil instrument créé en 1926 qui émet une onde, tu joues à la main avec... tu vois ce que c'est ?

Dj duclock : Ouais, les Primitifs du Futur en ont un sur scène.

Laurent Allinger : T'en as vachement dans les films d'Ed Wood, de science-fiction des années 40. J'ai des chambres d'écho à bandes, j'ai des platines, je peux faire des scratchs. Ce qu'on me demande en fin de compte c'est d'essayer d'apporter ma touche grâce à une culture musicale que j'ai, qu'est assez large et qui me permet de trouver un lien au milieu de tout ça avec les groupes que j'accompagne. C'est assez compliqué à expliquer parce que ce que je peux faire avec un groupe n'aura pas forcément grand chose à voir avec un autre. On peut me demander par exemple de bosser que des boucles. J'ai un sampler dans lequel je mets des boucles, ça peut être un début pour trouver une chanson. Quelqu'un a une chanson en tête, je trouve une boucle d'accompagnement, ça peut être les prémices pour qu'ensuite le batteur reprenne la boucle s'il y a une batterie... on est pas obligé de la garder au final. Ça peut être simplement une idée. Voilà, c'est proposer des idées, des choses ultra variées. Ça peut aller d'une espèce de voix qui peut faire des choeurs que je pique dans mes disques pour accompagner un chanteur. Ça peut être un son de sitar, des bongos, ça peut être n'importe quoi. J'essaie de trouver ce qui enrichirait la chanson. Avec tous mes disques, je peux avoir tous les instruments de musique. J'ai juste à trouver une espèce de phrase que je peux isoler et la mettre dans la création qu'on est en train de faire. Après y a deux phases de travail : y a la phase studio, ces boucles que je trouve dans mes propres disques, elles peuvent rester parce que c'est du studio, mais après je supporte pas sur scène de faire jouer un batteur, de faire jouer un groupe sur une boucle que j'ai imposé au départ. J'ai un besoin vital, c'est qu'il n’y ai pas de boucle sur scène. Les boucles qu'on trouve pour enregistrer, qu'on peut laisser sur un disque, au final ce qui me plait vraiment c'est qu'un musicien reprenne l'idée et la rejoue live sur scène.

Dj duclock : La boucle sert de base d'inspiration, de base de travail.

Laurent Allinger : Ouais. Je supporte pas ça, appuyer sur un bouton et se dire hop, ça tourne. Et puis au bout d'un moment, peut être que sur une grande scène la boucle n’est pas assez sonorisée. Le batteur, parce que le batteur c'est quand même lui qui envoie la purée au départ, il l'entend plus donc lui il se barre dans son rythme et moi je suis décalé. Alors que c'est pas moi qui suis décalé, c'est lui qui se décale et je comprends tout a fait qu'il se décale. Ça m'énerve d'imposer des machines. Je supporte pas ça et c'est une chose que j'ai comprise quand j'ai commencé à bosser sur Logic Audio, un logiciel de son. Je bosse mes créas à la maison tout seul. Là c'est du mécanique, je suis sur un clic, je fais mes boucles. Je fais mes créas tout seul. Ça m'empêche pas de faire venir des gens ici pour faire des rajouts avec saxophone... Y a des albums, le premier Portishead Dummy par exemple, tout est fait comme ça, avec des machines, des samples de Lalo Schiffrin, de Jeff Barry des choses sur lesquelles ils ont écrit des chansons. Mais par contre quand je les ai vus sur scène y avait pas de machines. C'est un vrai groupe avec une batterie, contrebasse, guitare. C'était monstrueux. Tu libères le groupe d'un espèce d'esprit mécanique... Moi j'ai pas vu de groupe sur scène avec des machines qui me troue le cul à part peut être New Order. New Order années 80. Ils avaient des machines, mais ça jouait quand même devant. La plupart du temps il manque quand même quelque chose s'il n’y a que des machines. Il manque une âme. C'est trop clean. Créer une âme à une machine, en tout cas sur scène, c'est super compliqué. Je dis pas que c'est compliqué pour tout le monde, mais ça demande des gens qui savent très bien le faire. Moi je suis noyé dans la masse quand j'entends le nombre de mecs qui maintenant jouent des machines sur scène, je trouve ça un peu dommage.

Dj duclock : Ca enlève quelque chose.

Laurent Allinger : C'est comme si tu accompagnais une machine, t'es plus devant.

Dj duclock : T'es plus le maître, t'as un métronome qui te cadre...alors que le métronome on s'en sert pour apprendre. Une fois qu'on sait, on le gicle.

Laurent Allinger : « On the border » comme dit Al Foul.

Dj duclock : Al Fool avec qui tu pars ce soir faire un concert...

Laurent Allinger : Al c'est une rencontre terrible... C'est avec les Little Rabbits qu'on a enregistré 5 albums là-bas, depuis le premier en 1995. On bosse avec Jim Waters qu'est le producteur de John Spencer Explosion Blues entre autres, et qui est devenu un ami, c'est ma famille. Moi j'étais là-bas en vacances aussi à une période. J'y allais pas uniquement pour travailler. On y a été cinq ou six fois. Le batteur des Rabbits est marié à une fille de là-bas. Y a eu des vraies connexions, qui existent depuis plus de dix ans.

Dj duclock : Tu y as une partie de ton univers.

Laurent Allinger : Carrément, y a pas un jour où je ne pense pas à Tucson. Tu vois j'ai le coussin qui est là (Laurent me montre un coussin avec un TUCSON stylisé écrit en gros dessus. Vous pouvez allez jeter un coup d'oeil aux photos que Laurent Allinger a réalisé là-bas sur myspace). C'est une seconde ville. D'ailleurs faudrait qu'on en parle à monsieur Ayrault pour essayer de finir par oublier Seattle et puis jumeler Nantes avec Tucson. Il se passe plein de choses... le fait que Al soit là... c'est de l'échange de copinage au départ, mais ce qui est fait pour Al a été fait pour d'autres groupes avant. Y a eu grâce à Eric, le batteur des Rabbits, un festival We Got Cactus qui est composé de tous les potes qu'on a croisés pendant des années dans les bars du centre ville de Tucson. Faut savoir qu'à Tucson y a une rue principale, c'est vraiment la ville de cow-boy, c'est grand comme Nantes, mais aux Etats Unis c'est un bled. T'as une rue avec cinq bars, t'as le train qui passe à côté... les trains de marchandises de 4 kilomètres de long comme on voit dans les films. On est plus dans le carton pâte. Ça existe nulle part ailleurs... (ça sonne et Al Foul nous rejoint, on cause un peu et l'interview reprend)... Y a un espèce de jumelage musical qui s'est créé, déclenché par les Little Rabbits sur Nantes. On a fait venir pleins de gens ici et puis la balle va être renvoyée puisqu'en Septembre, l'année prochaine, on part là-bas faire un festival avec Katerine, Dominic A, French Cow Boy qui est la suite de Little Rabbits, Grand Groove Orchestra. Avec Grand Groove Orchestra l'idée c'est d'accompagner Al.

Dj duclock : Où est-ce que tu te fournis en vinyle ?

Laurent Allinger : Y a pas une adresse plus qu'une autre. Dans les années 80 quand je suis arrivé sur Nantes, quand j'ai commencé la radio, c'était l'époque où il y avait encore des disquaires partout dans la ville. Y avait une dizaine de disquaires en neuf... Toute la journée je faisais mon petit tour parce que j'avais une émission de radio de 5 heures. A l'âge de vingt ans on m'a foutu là dedans, je suis arrivé y avait une discothèque énorme de vinyles. J'ai toujours été passionné par le vinyle. Je trouve que c'est un bel objet. Y a des gens qui sont fans de BD. J'ai du mal à comprendre maintenant qu'on puisse télécharger tout et n'importe quoi, MP3... La plupart du temps on télécharge mais on a pas les informations. Les 33 tours c'est une histoire ! Comme un bouquin, les artistes ont essayé de trouver une suite logique... comme avec un bouquin et des chapitres. Et tout ça tu peux plus le comprendre en prenant des MP3. T'as pas les textes, t'as pas d'images. Enfin... J'ai pas un endroit où j'achète plus que d'autres. Une partie de mon taf c'est d'aller chez les disquaires. Je me retrouve à Toulouse sur un concert avec les Rabbits, on a deux heures à perdre, j'irai chez les disquaires du coin parce que ce qu'ils ont ne sera pas la même sensibilité que les disquaires de Nantes. Y a des gens importants dans chaque ville qui ont fait que telle ou telle musique c'est plus développé que d'autres. Dans les années 80 on m'a reconnu (Laurent a été disquaire) pour avoir développé la pop anglaise. J'étais fan des Smiths tout ça... mais sur Toulouse c'est peut être pas les mêmes influences... Je me fournis autant chez les disquaires de neuf que chez Emmaüs, ou les collectionneurs où tu peux trouver des pièces à 30, 50, 100 Euros. Partout où y’a du disque, j'y vais. A Tucson, des Emmaüs y en a 50 dans la ville, ça s'appelle des Thrift Store. Tu trouves des pièces à 20 cents. Chaque fois que je vais là-bas, je ramène 250 disques... ça me coute 500 Euros... tu trouves des trucs ! Leur Michel Sardou et leur Johnny Hallyday à eux, c'est Burt Bacharach, c'est d'autres trucs que tu trouves pour rien. Mais à côté de ça t'as un disquaire qui fait quand même un hectare. C'est l'histoire de la musique, là tu payes plus cher. Alors moi j'équilibre là-dedans.

Dj duclock : C'est quoi le bouquin que tu es en train de lire en ce moment ?

Laurent Allinger : Je lis un bouquin qui s'appelle Capitaine Zéro, je sais plus de qui c'est... par contre je me suis remis dans une espèce de pseudo autobiographie qui s'appelle Haute Fidelité par Nick Hornby sortie y a une quinzaine d'années, peut être dix ans. La première fois que je l'ai lu c'est parce que je tenais un magasin qui s'appelait Black & Noir j'ai été disquaire pendant dix douze ans sur Nantes dans trois magasins différents. Pendant des semaines et des semaines, pas tous les jours comme ça, mais je sais pas, j'ai eu peut-être dix personnes qui me disaient comme ça « Mais Laurent y a un bouquin là... on t'as vu dedans ! ». Je l'ai lu y a dix ans, je suis tombé par terre. La première référence du bouquin c'est Last Night I Dreamt That Somebody Love Me des Smiths. Tu connais ce bouquin ?

Dj duclock : Non.

Laurent Allinger : ça se passe dans Londres. Un endroit où j'allais énormément quand j'avais 18 ans. Avant d'aller en Arizona, c'était Londres la Mecque. Le paradis des disquaires. Le héros est disquaire et c'est aussi un rapport sur toutes ses conquêtes féminines. Voilà... là je me suis remis dedans parce que j'en ai besoin... Haute Fidélité de Nick Hornby...

Discographie :

BO. Atomik Circus, The Little Rabbits et Vanessa Paradis, Barclay, 2004
Radio, 18 remixes by Jim Waters & French Tourist, The Little Rabbits, Rosebud, Barclay, 2003
La grande musique, The Little Rabbits, Rosebud, Barclay 2001
YEAH!, The Little Rabbits, Rosebud, Barclay, 1998
Ngc 224, Mukta remix by the LALO'S (Kingsucker Jr & French Tourist), Warner, 1999

En autoproduction et à la recherche d'un label :

The Beatles Cover Collection, French Tourist
In Arizona Mood Vol I & II, French Tourist
In Brazil Mood Vol I & II, French Tourist
Hi Kids Vol I, French Tourist
Aloha From Hawai, French Tourist



Site :

www.myspace.com/frenchtourist

Interview réalisé à Nantes le 15 Novembre 2007. Merci à Rebecca pour le prêt de sa jolie couloirisation de m'sieur Allinger. La photo est tirée d'une exposition (prolongée jusqu'au 31 décembre 2007) que l'on peut voir au Canotier à Nantes.

Et puis voilà, on peut s'écouter peinard les Filthy Amigoz dans une reprise pas piquée des hannetons...